SPECTRUM, #1 film & 16 bambous, 2022

Performer devant un film

Au carrefour de la danse, de la performance in situ et de l’architecture, Spectrum s’inspire du travail d’Alain Bublex, l’un des artistes plasticiens français les plus singuliers de sa génération, né à Lyon en 1961 et ancien designer industriel chez Renault. Du premier film Rambo – First Blood – sorti en 1982, Bublex n’a retenu que le paysage pour en tirer An American Landscape, un film d’animation à la bande son puissante. Exit Sylvester Stallone et toutes les présences humaines. En transformant ainsi notre regard sur la version originale, Alain Bublex révèle de nouveaux spectres et nous plongeons dans l’espace mental du personnage principal absent. Dans le camouflage des dessins vectoriels et des verts du paysage américain, en écho à la pièce Sinople présentée à l’extérieur du lieu de l’exposition, le film est activé face à l’écran par une performance entre chien et loup, qui va disloquer les certitudes, se jouer de la narration originale et du dispositif de toutes dimensions.

Spectrum, clin d’oeil à Barthes

Dans La Chambre claire (1980), Roland Barthes choisit le mot « spectrum » pour souligner le rapport qu’entretient la photographie avec le spectacle. C’est la cible, le référent de la photo : un objet ou un être humain. La personne photographiée est à la fois celle qu’elle se croit, celle qu’elle voudrait qu’on la croie, celle que le photographe la croit, celle de qui il se sert pour exhiber son art. Le croisement de ces quatre imaginaires provoque chez elle un sentiment d’inauthenticité, comme celui généré par l’absence des protagonistes du film de Bublex qui renvoie cell-ui qui regarde à sa fonction de cible.

Dramaturgie et géométrie

La structure cubique en bambou renvoie à la maison originelle du début du film, au format de l’écran mais aussi au polyèdre régulier platonicien symbolisant la terre, et l’aspiration à la stabilité psychique du personnage calmant son traumatisme du retour de la guerre du Vietnam. Evoquant aussi la prison dans la scène du commissariat, les arrêtes du cube, une fois déconstruit, retournent à leur matérialité naturelle sur le sol de la forêt. Elles deviennent tour à tour éléments d’une passerelle, troncs, croix d’un calvaire, hélices de l’hélicoptère cher à Bublex et présent dans la bande son, bâtons de marche… Certaines finissent en tétraèdre pour évoquer le nouvel espace refuge du protagoniste autour du feu. La déconstruction s’amplifie encore lors de la scène finale du retour en ville, lorsque le faisceau d’armes martiales, fait éclater l’espace dans une bondissante danse aux javelots atterrissants hors-champ, jusqu’à l’espace imaginaire de l’arrière de l’écran. Comme les feux verts virtuels clignotants sur la toile, ne restent alors sur la scène que quelques projecteurs réels verts clignotants dans la nuit, et le tipi vide interrogeant la suite à venir.

Crédits

Concept, chorégraphie et performance : Gilles Viandier / Réalisation et dessins du film An American Landscape : Alain Bublex / Montage : Cyprien Nozieres / Musique : Denis Vautrin / Production : Théâtre de l’Odyssée, Scène conventionnée Art et Création à Périgueux & festival Mimos – Agence culturelle départementale Dordogne-Périgord – P / O Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois – Association Promenade d’artiste / Photos : Line Muckenstürm.