Interview de Revista Bulevard traduite du roumain, 07 mars 2014

http://revistabulevard.ro/2014/03/gill-viandier-aduce-arta-in-spatiul-public-in-pasi-de-dans/

Gilles Viandier introduit l’art dans l’espace public, à pas de danse. Gilles Viandier est un artiste, architecte et danseur complexe qui combine l’art avec l’espace public. À travers la scène urbaine et l’Institut culturel français, l’artiste viendra à Cluj-Napoca, après une bonne période de réflexion sur la transformation de la rue Mihail Kogălniceanu, qui pourrait devenir piétonne. À partir du 9 mars, Gilles sera présent à Cluj pendant une semaine, pour documenter le projet de mai. Il s’entretiendra avec des gens de la rue susmentionnée et préparera également un atelier avec des danseurs amateurs et des chorégraphes pour le même projet. Nous avons pensé parler un peu avec lui à l’avance pour découvrir une petite partie de ses pensées.

1- Qui est Gilles Viandier? Je me sens un peu comme un chercheur, curieux de pleins de choses et essayant de ne pas faire de séparations entre les domaines. Ou au moins de faire des liens entre les choses et entre les gens. L’art a toujours été un moteur dans ma vie, au début avec la musique (piano, chant, clarinette). Puis avec la littérature, le théâtre, la danse, le cinéma, le dessin, l’art contemporain… sans écarter la science ou la philosophie. J’ai grandi en France, et travaille toujours là-bas parfois mais depuis 5 ans je vis à Berlin et de plus en plus en Andalousie. Je vis depuis très longtemps la vie nomade et donc la solitude, les voyages, l’adaptation, l’observation, les questionnements… et aussi ce que signifie être ensemble… dans les créations, en tournée, dans les fêtes, à travers différentes villes que j’aime toujours explorer, parmi différentes natures, mondes.

2- Vous avez étudié l’architecture, puis la danse. Qu’est-ce qui vous a poussé à faire cette étape ? Quel est le lien entre ces champs? En étudiant l’architecture et l’urbanisme, j’ai appris à regarder l’espace et à intégrer divers paramètres pour le nommer et le concevoir. Avec la danse contemporaine, grâce à laquelle je peux maintenant vivre pendant 14 ans, j’ai appris comment le corps et l’âme peuvent dialoguer avec l’espace et, d’une certaine manière, peuvent s’exprimer et jouer. Devenir danseur a toujours été un rêve, mais plus encore, c’est l’appel du mouvement, avoir conscience des possibilités et des pouvoirs du corps, lié aux pensées, au langage, à l’écriture, aux gestes…. Quelque chose que l’architecture oublie parfois. Dans notre société de flux permanent, la question de la vitesse se concentre aussi dans l’interconnexion entre les personnes, dans le fait de bouger mais aussi dans la présence de vibrations, avec toute sa portée. La vibration qui appelle aussi les sons…. et les mathématiques.

3- Vous dansez aussi dans des espaces non conventionnels, dans l’espace public. Comment les gens réagissent-ils, comment interagissent-ils avec ce genre d’art?Après de nombreuses années de représentations dans les théâtres, j’ai réalisé que ma profonde et intime spécificité et mon inspiration venait de l’extérieur de la boîte noire ou du studio, mais qu’elle était aussi le fruit du travail dans ces espaces, face au vide. L’espace public urbain est le lieu où la performance peut questionner et provoquer les comportements sociaux classiques, créer des liens sociaux, accueillir la diversité…. Et fait sortir cet art de ses rangées et son public confortables. Cependant, je considère toujours le théâtre comme l’une de mes premières maisons.

4- Comment comprenez-vous le rôle social de l’art? Les réactions des gens sont aussi diverses que l’est l’espèce humaine. Mais ce projet est clairement une invitation à ressentir la danse en soi, à accepter son propre corps, ses sensations, ses émotions et à lutter contre l’uniformité qui est aujourd’hui la tendance dans nos villes, dans les comportements, etc. De plus, la danse devient aussi un moyen d’affronter d’autres questions dans les villes (pas encore) durables et responsables de nos jours.

5- Comment avez-vous commencé la collaboration avec Denis Tricot? J’ai rencontré Denis en 2006 après un spectacle où il m’a vu danser. Nous avons parlé et après avoir vu une photo de ses sculptures, je savais que je le reverrais! Puis il m’a proposé de collaborer à l’instrument-installation l’Orgue de Bois (http://denis-tricot.com/-lutheries-monumentales-43-.htmlt.com/) qui est si monumentale dans l’espace que le corps tout entier est appelé à se produire dans sa structure. Une association parfaite du design, de la musique électro-acoustique et de l’improvisation dansante qui font partie de mes aspirations.

6- Que voulez-vous refléter en dansant avec une sculpture? Avec tous ses capteurs, la sculpture devient un instrument en mouvement, sans règles écrites ni partitions pour la jouer. Je me laisse inspirer par les courbes des planches de bois, par les sons étonnants…. La sculpture peut évoquer beaucoup de choses pour le public, j’essaie de les faire apparaître : le temps qui vole, les connexions sinusoïdales avec le corps anatomique, le poids et la légèreté, l’élasticité, la résistance des matériaux, les sons organiques de la tempête à la jungle, de la guerre aux bateaux dans un port, les gestes de l’histoire de l’humanité… Oscillations entre la terre et le ciel, perspectives et détails, composition d’images et de musique au sein du trio et confrontation physique avec ce Léviathan abstrait en bois.

7- Dans quels autres types de projets inattendus êtes-vous impliqué ? Quels autres projets futurs avez-vous en tête? Depuis 2006 je développe un projet sous le nom générique de #Number#. C’est une recherche qui a commencé avec la notion de convergence dans les villes. Marcher pour s’entraîner, s’échauffer, recueillir des pensées, des objets, des situations… pour créer un spectacle sur une place, seul ou avec des personnes venant d’autres parcours. Après différentes expériences à Montpellier, Zagreb, Bruxelles, Berlin, Paris et une maturation plus longue à Budapest en mai 2012 questionnant les frontières, le lieu de la nature, la conscience des attitudes de gaspillage dans une ville, la prochaine étape apparaît à Cluj-Napoca où la conjonction fait qu’une longue rue importante du centre historique deviendra piétonne dans quelques années. Le temps est venu de se concentrer sur l’invention d’un nouveau type de rue piétonne…. J’ai encore des projets scéniques avec des compagnies de danse et des collaborations en Europe : un projet sur le nomadisme à Marseille, un duo avec des haltères pour des festivals à ciel ouvert, et bientôt une collaboration avec un chorégraphe flamenco…. J’aimerais aussi m’engager dans des projets plus musicaux.

8- Ce sera votre première fois à Cluj-Napoca. Quels sont vos projets et vos attentes? C’est la première fois que je viens à Cluj-Napoca après presque un an d’écriture et d’imagination sur la façon dont la danse, le corps, la perception urbaine pourraient soutenir et accompagner la transformation de la rue Mihail Kogălniceanu, rendue aux pieds, aux pas et aux pratiques corporelles. Grâce à l’invitation de Daniela Maier, vice-présidente de l’Ordre des architectes et directrice de Scena urbană, avec le soutien de l’Institut français, je pourrai rencontrer des architectes, danseurs, photographes… toute personne intéressée à partager ses vues ou attitudes sur le dessein et le potentiel de cet espace public. Au sein d’une sorte de laboratoire de piétons, nous avons l’intention d’y passer du temps, d’improviser, de poser des questions aux habitants qui ont l’habitude de cette rue et l’utilisent, de comprendre le passé et de souligner l’avenir possible du premier symbole d’une ville : une rue. J’espère que ce projet fera écho à la population et que le matériel recueilli mènera à d’autres étapes comme proposer des idées pour le nouveau développement de l’artère urbaine, en tenant compte des larges possibilités du corps en mouvement. Je ferai également des repérages et des dispositions techniques pour le prochain projet avec Denis Tricot et Eric Cordier, une installation-danse-concert intitulée Grandeur Nature qui aura lieu dans cette rue, devant la Philharmonie, en mai 2014.

9- Je sais que vous chantez aussi, faites de la scénographie, traduisez et écrivez des critiques de films. D’où tirez-vous votre énergie? L’énergie est partout. Mais l’énergie est surtout dans la vibration entre les personnes, dans la stimulation des projets, dans la musique, dans l’art en général, dans les sourires gratuits, dans les voyages, dans l’amour, dans la liberté en général même si parfois trop de liberté n’est pas si facile (voir l’Odyssée). De l’énergie pour résister à un monde dominé par la finance, la peur, la surveillance, la sécurité ou la hiérarchie. De l’énergie dans l’espoir, la curiosité, le travail, dans la bonne santé, en bon équilibre entre solitude et sociabilité, entre pied sur terre et tête dans le ciel, travail physique et spiritualité, analyse et imagination. C’est pourquoi l’art de toucher et d’être touché est si important parce que c’est toujours une circulation d’énergie.

10- Comment passez-vous votre temps libre? La frontière entre temps libre et temps de travail est parfois difficile à discerner. Aller voir un spectacle, une exposition, lire, jouer du piano, parler avec les gens peut toujours créer un lien avec l’inspiration ou le fait de chercher du matériel pour des travaux en cours, mais j’aime vraiment renouer avec la nature, la mer, la forêt ou la montagne. Et dès que je le peux, j’adore faire du vélo sur de longues distances, explorer la ville et taquiner les voitures! Ou aller danser… encore et encore!